LEGER Albert

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 Albert Jules LEGER, né le 25 novembre 1884 à Saint-Maclou la Brière (76) au hameau de la Forge, charcutier, fils de Emile Albert, maréchal Ferrant, et de DEVAUX Pascaline Victoria, mariés à Thiergeville (76) le 08 juillet 1879 et demeurant 25, rue Fauquet-Lemaitre à Bolbec en 1907

Au recrutement de Bernay (27), classe 1904 - matricule 3819. Exempté du service militaire en 1905

Marié le 5 février 1907 à Bolbec avec PLANCHON Jeanne Maria Alexandrine, demeurant 4, rue Fauquet-Lemaitre à Bolbec, née le 19 août 1888 à, Bolbec.

Un contrat de mariage a été passé devant Me Aubry, notaire à Bolbec, le 2 février.

Reconnu bon pour le service armé (décret du 9 septembre 1914) . Appelé au 24è R.I. le 22 février 1915, passé dans l'armée territoriale le 20 août 1915 comme père de 4 enfants vivants.

Passé au 24è R.I.T le 22 août 1915, passé au 119è R.I.T. le 25 septembre 1915.

Porté disparu le 25 septembre 1915 aux tranchées de la Folie

Décédé de "suites de blessures"  constaté le 22 octobre 1915 à Neuville Saint-Vaast (Pas-de-Calais).

Inhumé au cimetière de la Motte.

 

Corps rapatrié par le convoi du 3 juin 1922

Inhumé à l'emplacement actuel le 10 juin 1922

 

 MORT POUR LA FRANCE 

Le 25 septembre
Le 25 septembre, dès l’aurore, une animation extraordinaire règne dans le secteur. Ce ne sont qu’allées et venues incessantes : officiers des 24e et 28e en reconnaissance, corvées de territoriaux apportant des grandes ou du matériel sanitaire, etc. Le bataillon effectue vers le Nord, vers la cote 123, un glissement de quelques centaines de mètres. Le 24e régiment d’infanterie occupe P. 60 et P. 40. Le 28e se masse dans P. 4. Selon les apparences, l’attaque ne saurait tarder, mais personne ne sait au juste quand la brigade va se ruer sur l’ennemi. Pour l’instant, le bombardement des lignes allemandes continue avec une grande violence. L’artillerie de tranchée donne à plein. Les hommes essayent de manger, mais ces déplacements latéraux, destinés sans doute à mettre les unités face à leurs objectifs, empêchent d’ouvrir la moindre boîte de conserve. L’air, assourdi par le vacarme des explosions, chargés de terre et de soufre, est irrespirable. 
Voici le commandant de M…[de Montluc ?], du 24e. Beaucoup d’officiers du 28e où il a, voici quelques mois, exercé un commandement, le connaissent et vont à lui. « L’attaque, dit-il, aura lieu à 12h25. » Il est 11h35. 
Le bataillon n’a pas encore envoyé d’ordres. Les compagnies vont-elles déboucher de P.4 ou bien, après la sortie du 24e, vont-elles prendre leur départ dans P. 60 ? Il est à craindre que le passage de P.4 en P.60 par des sapes étroites ne ralentisse le mouvement en avant. C’est pourtant ce qui semble se réaliser. Une poussée venue on ne sait d’où entraîne la compagnie vers la première ligne, par des boyaux desservant P. 60. 
Pour l’instant, au sein même des unités, toute liaison est devenue impossible. Officiers, sous-officiers, caporaux et soldats, tout est confondu. Les hommes genoux contre genoux. Le fusil entre les jambes, sont accroupis sur leur sac. L’encombrement est à son comble. Aucun commandement n’est possible. Dans ce dédale inextricable de tranchées, sous ces trajectoires sifflantes où chacun est enterré vivant, comment voir sa troupe et être entendu d’elle ? Cependant l’enthousiasme est grand. Le bruit court que les Anglais ont pris l’offensive et occupé Loos. Cette nouvelle exalte le moral. 
12h25. Avec un bruit de jet d’eau un liquide jaune s’élève de P.40. Les lance-flammes entrent en action. Tous les trente mètres environ, des morceaux d’amadon incandescents, projetés en l’air par d’invisibles bras, voltigent en direction des tranchées allemandes.
Vers Neuville et au delà – le terrain légèrement en pente permet d’observer cette partie du secteur – c’est le même spectacle. Une forte odeur de goudron saisit la gorge.
Bien que par endroits, en avant de la première ligne, d’énormes flammes jaillissent et soulèvent d’épaisses colonnes de fumée noire. Il semble que l’incendie ne s’est pas propagé partout, notamment devant les Cinq-Chemins.
Du côté allemand, une fusillade nourrie s’élève. Sa violence surprend. De nombreuses balles ricochent. Même au fond des sapes, il faut se faire tout petit. Les minutes passent sans que faiblisse le feu ennemi. Tous en déduisent instinctivement que le mouvement vers P. 60 est arrêté. De fait, les compagnies sont toujours embouteillées en colonne par un dans les sapes. Serait-ce l’échec ? Personne n’ose le dire, mais il suffit de regarder les visages pour voir l’incertitude atroce qui les crispe.
Soudain une forme humaine venant de la plaine s’abat au-dessus même de la sape 10. Quelques mitrailleurs témoins de cette chute tirent le blessé par les pans de sa capote et le font glisser au fond du boyau. C’est le commandant de M…
Sans doute cet officier, voyant que les premières vagues ne débouchaient pas, bien que marchant en 2e ligne, s’est-il élancé en avant, en tête de son bataillon. Il est là, blême, grièvement frappé d’une balle au ventre. On s’empresse autour de lui. Son maréchal des logis accourt, un infirmier l’accompagne. Avec d’infinies précautions, le blessé est tiré par les pieds vers P.4. Sa canne et sa gourde demeurent sur le sol…
Cependant la sape 10 ne se décongestionne toujours pas et le mouvement vers l’avant semble à jamais enrayé. Un cri venant de l’avant circule de bouche en bouche : « Des cartouches ! Des cartouches ! » Les hommes angoissés transmettent le message comme des automates. Que se passe-t-il ? Qui lance cette demande incompréhensible ? Impossible de savoir ni même de voir. Un commandant de compagnie décide de prélever quelques paquets de cartouches sur les dotations individuelles. Maintenant ce sont des grenades que l’on réclame… On entend, de fait, des explosions en première ligne. Quelques caisses envoyées de P.4 passent de main en main.
« Des renforts allemands arrivent dans la plaine ! », crie-t-on tout à coup. Les plus calmes s’opposent à la propagation d’une telle nouvelle. Sans d’énergiques interventions, le désordre pourrait dégénérer en panique.
La fusillade s’est un peu calmée. Ordre est transmis de reculer. Les compagnies refluent dans P.4. Elles y trouvent le maréchal des logis B…, agent de liaison du chef de bataillon H… [Hislaire] Le visage décomposé, le sous-officier réclame avec une grande force le capitaine F… [Frémont], commandant la 10e Compagnie [la 12e Compagnie ?] :  
« Le commandant vient d’être tué » s’écrie-t-il.
A l’annonce de cette nouvelle, plusieurs hommes sanglotent… La disparition du commandant H… pèsera sur le bataillon pendant toute la campagne. 
Un obus de gros calibre percute P.4. Le sergent M. est enseveli. On le dégage, le malheureux a perdu l’usage de la parole. Un silence étrange règne maintenant sur ce coin du champ de bataille. Les hommes, résignés, ce sont affalés dans la tranchée ; beaucoup ferment les yeux. Un caporal se précipite :  « Nous avançons à droite, regardez », s’écrie-t-il. De fait, au sud-est des Cinq-Chemins, à 8 ou 900 mètres, on distingue nettement quelques fantassins amis, qui baïonnette au canon, enjambent des tranchées et filent au pas gymnastique en direction de la Folie. On suit ces braves. On voudrait les appuyer, les rejoindre, se jeter dans la brèche d’autant qu’un renfort ne paraît les suivre.
Vers la Folie, des fanions rouges, mus par des mains françaises se balancent d’un mouvement lent et régulier. A n’en pas douter, nos éléments avancés réclament de l’aide et le bataillon est toujours dans P.4, bloqué, inutilisé, sans chef ! 
Tandis que le jour s’achève sur cette tragédie, la pluie commence à tomber. Les tranchées se transforment en ruisseaux, il n’est plus possible de demeurer assis. Quelques blessés, d’une pâleur effrayante, passent : à les croire, P.40 est pleine de sang.
L’explosion d’un obus lacrymogène est le seul indicent de cette fin de journée. De nombreux hommes, non encore habitués à ce genre de projectile, s’échappent en criant. Il faut menacer pour être obéi. Ordre est reçu de passer la nuit sur place. Chacun s’organise et se case dans P.4, tandis que reprend le bombardement des lignes allemandes.
  
Pour info :  
Les bataillons du 28e RI se trouvent derrière le 24e RI 
 
Voici un plan montrant la situation à 16 heures :

Folie2  

 

 

Sources : Vincent Le Calvez, http://vlecalvez.free.fr

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Voici le récit du soldat Vincent Martin, 2e compagnie du 119e RI qui raconte l'attaque sur le Bois de la Folie :
 
La préparation de l’attaque du 25 septembre 1915, diversion d'Artois
 
Qu'est-ce que l'on ne nous a pas fait faire comme terrassement !
D'abord des sapes souterraines partant de la tranchée de première ligne distantes chacune de vingt à vingt-cinq mètres environ sous une épaisseur 50 cm de terre et allant déboucher devant l'ennemi à peu près à vingt-cinq mètres de lui; de chaque sape, nous ne pouvions déboucher qu'un seul homme à la fois. Devant les travaux de terrassement, l'ennemi se trouve averti par de tels amas de terre et se méfie de nos intentions; néanmoins, resté calme il n'a pas bougé. Notre commandement avait aussi envisagé de lancer la cavalerie (comme il le fit en Champagne le même jour) et fit préparer, à l'arrière, des claies pour franchir les tranchées transversales. Devant l'énormité des tranchées et la bêtise de ce travail impossible, rien ne fut fait. Après un bombardement de 72 heures, où toute l'artillerie dont nous disposons est mise en œuvre, pour anéantir tous les allemands se trouvant devant nous, c'est encore nous, fantassins : hommes, gradés et officiers jusqu'au commandant, qui allons nous faire tuer pour la gloire de nos généraux massacreurs et incapables tellement ils se trouvent ignorants de la situation. Dés le commencement du bombardement, le 19 septembre, les allemands, avertis, ont eu leurs tranchées de deuxième et troisième ligne complètement nivelées. Ils se sont réfugiés tous dans la première ligne où pas un seul obus n'était tombé; de là, ils vont nous recevoir lors de l'attaque sans coup férir.
   
Le deuxième pressentiment de la mort, je l’ai vu ici 
 
Quelques jours avant l'attaque, nous sommes envoyés au repos à Acq, à l'ouest d'Arras; mais un repos qui me laisse présager une catastrophe pour nous, français.
J'avais un charmant camarade originaire de Saint Martin la Garenne à 3 kilomètres de Dennemont en direction de Vétheuil, Emile Hottot, sergent au 28éme régiment (ndlr : plutot 24e RI) d'infanterie de notre division ayant fait partie, avant la guerre, comme Fernand et moi, de la société de préparation militaire de Follainville-Dennemont; il venait me voir, son régiment étant cantonné dans les environs comme le nôtre. Pendant les 3 jours où nous fûmes là, il vint me voir et ne me quitta pas sauf à l'heure des repas et le soir. Au début je n'y prêtais aucune attention, bien content de converser avec lui; mais devant son air pensif, réservé et sérieux, je conclus qu'il devait se passer en lui (autrefois je l’avais connu si gai) quelque chose d'anormal. Jamais auparavant je ne l'avais vu venir me voir, je me suis alors demandé :"Est-ce un sentiment de camaraderie qui le pousse". Après tout ce que nous avions passé, lui et moi, depuis un an dans des combats incessants, nous ne restions plus beaucoup de rescapés dans nos unités primitives et dans nos pays de Dennemont et de Saint Martin la Garenne, nous, les jeunes du moment, étions restés peu nombreux déjà. Lui aussi était allé en permission dés le premier départ en juillet 1915.
   
L'attaque du 25 septembre, devant le bois de la Folie, Vimy cotes 119-140
 
 Ce jour-là, tout est prêt; le commandement français a annoncé qu'il ne restait plus rien devant nous en raison des quantités énormes de pièces d'artillerie de tous calibres qui, dans un vacarme infernal de soixante douze heures, avaient déversé des obus sur les tranchées ennemies. Les pompiers de Paris entrent scène avec leurs lances chargées de liquides enflammés, mais ceux-ci n'atteignent pas la première tranchée ennemie qui, de surcroît, na pas reçu un seul obus et où tous les allemands se sont réfugiés. C'était un spectacle terrifiant.
Le commandement, loin derrière, ne connaît pas ces renseignements ou pense "On verra bien! Nous défoncerons le front allemand!". Dans cette circonstance qu'a fait notre aviation pour renseigner le commandement? Absolument rien. Nous avions pourtant de sacrés as dans cette nouvelle arme, mais pour mon compte personnel et pour beaucoup de mes camarades, nous n'avons vu aucun avion de renseignement français survoler les premières lignes allemandes avant l'attaque; alors que chez eux, le 23 août 1914 à Charleroi, un "Taube" de renseignement nous survolait et scrutait nos positions à deux cents mètres au-dessus de nous, voilà la vérité! Si le commandement français avait eu ces renseignements, il n'aurait tout de même pas déclenché une telle attaque! On n'en sait rien après tout : nos généraux de l'arrière étaient tellement confiants et malheureusement ce sera longtemps encore leur point de vue :"Nous lancer devant les mitrailleuses allemandes pour les impressionner".
Le matin, avant l'attaque, nous avions touché du rhum à pleins seaux afin de nous doper; me trouvant avec mon escouade à l'extrême droite de la compagnie, harcelé par mes hommes qui n'avaient rien reçu, j'allais voir le capitaine Waetcher, mon commandant de compagnie, qui m'en donna un seau entier en me disant :"Tiens, mon vieux Martin prends ce qu'il te faudra, toi et tes hommes, et rapporte moi ensuite le reste" ce qui fut fait. J'avais confiance en lui; partis au front ensemble au 1er bataillon de la 1ère compagnie de mon camarade Fernand, il eût pu me demander l'impossible que je l'aurais tenté.
Il partit au devant des allemands à la première vague d'assaut avec sa 2ème compagnie, accompagné de son sergent-major et , par un fait du hasard, je les ai retrouvés tous les deux à la 3ème vague d'assaut dans un trou d'obus et m'y suis réfugié aussi. Le capitaine étant blessé, il nous était impossible de chercher à rejoindre notre tranchée de départ sans nous faire tuer, les mitrailleuses et tirailleurs ennemis sont braqués sur tous ceux qui relèvent la tête. Les autres camarades en ligne à côté de nous, le nez par terre, sont morts. La nuit venue, les combattants valides réfugiés dans les trous d'obus se laissèrent tomber en rampant dans les têtes de sapes qui avaient été creusées par chacun de nous, mais dès que j'y fus arrivé elles étaient bourrées de morts et de blessés. J'ai passé la nuit sur le cadavre d'un ancien camarade que j'ai mis sur le ventre afin de pouvoir m'asseoir sur son sac qu'il avait encore sur le dos. Quelle horreur! Le jour venu nos brancardiers dégagèrent les morts et blessés et nous les rescapés, emprisonnés dans ces maudites sapes, sous cinquante centimètres de terre, nous reprîmes notre place de combattants dans la tranchée de départ où nous sommes maintenant aussi regroupés. Nous pouvons alors constater l'horrible spectacle des morts qu'il y a devant nous : trois lignes successives de cadavres en bleu horizon, le derrière en l'air, l'arme à la main, tournés vers l'ennemi qui les avait tués! On ne put rester sur cet échec, pensez donc! Il fallait crever le front allemand; le 26 septembre, au point du jour, notre 1er bataillon renouvelle ses assauts afin de tâter l'ennemi; celui-ci est toujours là en force et lui n'a pas eu de pertes : il brise aussitôt notre élan.
 
Plan de l'attaque du Bois de la Folie
 
A 17 heures, nouvelle attaque générale dans les mêmes conditions que la veille, avec l'appui de 2 compagnies du 407ème régiment d'infanterie; même insuccès. Le commandant Siau de notre bataillon, qui avait remplacé le commandant tué pendant la retraite de Charleroi, est tué d'une balle au front. Les pertes en hommes et en cadres sont énormes. Ce n'est plus trois lignes successives de cadavres qu'il y a devant nous, mais six maintenant.
  
J'avais un camarade réserviste de ma section qui se nommait Sonneville dit "le gros Louis" parce qu'à la mobilisation le 2 août 1914, on lui avait donné le plus grand des ceinturons que l'on puisse trouver. Mais déjà, au 25 septembre 1915 "il avait fait de l'exercice" et, ma foi, il réussissait à boucler son ceinturon sans avoir besoin d'un lacet de soulier, comme auparavant, pour rejoindre les deux bouts. C'était un charmant camarade, depuis le début, 5 août 1914, il était avec nous. II fut tué le 25 septembre à la première attaque alors que son ordre de rappel était arrivé depuis la veille au général commandant la 12ème brigade. On l'a laissé tuer avant de le renvoyer. II devait retourner travailler à l'arsenal de Puteaux. C'est encore là une fatalité insigne du sort! Quelle malchance il aurait dû être parti! Il aimait à nous raconter ses habitudes journalières : le bistrot du coin etc...
 
Le 119ème régiment d'infanterie épuisé est relevé dans la soirée par le 407ème régiment d'infanterie et vient se réorganiser un peu en arrière dans les abris de la route nationale de Béthune à la Targette. Le surlendemain 28 septembre le 119ème régiment d'infanterie alerté, reçoit l'ordre de se porter en avant pour appuyer une nouvelle attaque exécutée par le 407ème. La première ligne allemande est prise; le 407ème étant à bout de souffle, le 119ème prend à son compte à partir de 16 heures la continuation de l'attaque et, après un combat acharné qui dura jusqu'à la nuit, parvint jusqu'à la troisième ligne allemande ramenant de nombreux prisonniers. Lorsque j'ai franchi cette première ligne où tant de fois nous nous étions brisés dessus, nous pouvions constater que nous avions à faire à des défenseurs maîtres dans l'art d'organisation du terrain.
 
Le communiqué officiel du 7 octobre signale que depuis le 25 septembre 1915 en Champagne, nous avons perdu 143 500 hommes dont 21 500 tués, 81 000 disparus et 41 000 blessés évacués. Je ne sais combien nous avons eu de pertes en Artois, mais depuis le 9 mai 1915 où la bataille ne cesse, nous ne sommes pas loin, si ce n'est plus, d'égaler celles subies en Champagne bien que le front d'attaque soit plus restreint mais tout aussi violent. Un ancien camarade de Dennemont qui est sorti indemne de l'attaque du 25 septembre en Champagne, me relatait dernièrement que c'est grâce à un trou d'obus où il s'est réfugié qu'il a dû d'avoir la vie sauve.
 
 Durant la période du 28 septembre au 7 octobre, nous occupons d'anciennes positions allemandes au nord de Neuville-Saint Vaast devant le bois de la Folie; ces tranchées, repérées au mètre près par l'ennemi, sont soumises à de violents bombardements d'obus de 210 venant du massif boisé au nord, ne nous laissant aucun répit. Le 1er octobre le sergent-major de la 2ème compagnie, venu du train de combat en première ligne, apportait le prêt de la compagnie et la solde des officiers et sous-officiers à solde mensuelle quand il a été tué par un obus dans un ancien abri allemand ainsi que tous les sous-officiers de la compagnie. C'est avec lui et le capitaine Waetcher blessé que je m'étais réfugié dans le même trou d'obus le 25 septembre précédent, premier jour de l'attaque.
 
 Devant les difficultés énormes que les sergents-majors rencontraient depuis le début de la guerre pour établir convenablement leur comptabilité, le commandement avait décidé que ceux-ci resteraient en arrière pour assurer la continuité de tous les renseignements comptables; le sergent fourrier lui communiquant chaque jour la situation-rapport de la compagnie.
 
 C'est à l'occasion de cette triste histoire que je fus nommé sergent. Dans la nuit du 7 au 8 octobre, nous fûmes relevés de ce secteur et nous avons bivouaqué à Aubigny sur les bords de la Scarpe dans un pré; arrivés vers minuit nous nous sommes allongés sur notre toile de tente, nous séparant ainsi de l'herbe humide de cette époque. Le lendemain, après avoir bien dormi, je me suis réveillé avec une douleur à l'épaule gauche, douleur que j'ai conservée plus de vingt ans et qui allait en s'aggravant. Ce n'est qu'entre 1940 et 1942 alors que j'étais replié avec mon dépôt dans le Midi à Mirande, Auch et Toulouse, que cette douleur a disparu. Impossible parfois de lever le bras au dessus de l'horizontale sans qu'un craquement douloureux ne se produise aussitôt. Il a fallu la drôle de guerre de 1939-1945 pour que ma douleur physique disparaisse, mais non ma douleur morale beaucoup plus dangereuse. Pillé après mon départ par les allemands qui, dans mon ancien képi d'adjudant, ont fait leurs besoins naturels, volé ma médaille militaire et mes croix de guerre, aidés par des réfugiés français ou alliés qui ont occupé notre maison à Giverny, pays de Claude Monet, où nous habitions avec ma femme et mes enfants. Nous avons subi des pertes considérables en regard de l'allocation minime que nous avons perçue. Mais revenons à la guerre 1914-1918.
 
Lorsque nous fûmes enlevés par camions d'Aubigny le 8 octobre 1915 et, après avoir rejoint le cantonnement de Prévent, je partis m'informer auprès des officiers et sous-officiers de la compagnie du 28ème régiment d'infanterie de notre division, du sort de mon camarade Emile Hottot, de St Martin la Garenne. Il ne m'avait pas quitté durant les trois jours que nous avions passés à Acq avant les attaques du 25 septembre au 7 octobre à l'ouest d'Arras devant le bois de la Folie : il fut tué le 25 septembre à la première vague! Il avait pressenti sa mort avant l'attaque.
 
La 2ème compagnie du 119ème régiment d'infanterie n'ayant plus aucun sous-officier je fus nommé sergent avec un camarade Emile Vivien de Buchy en Seine Maritime. Nous avons été affectés à la 10 ème compagnie de notre régiment. Nous regrettâmes notre 2ème compagnie où je laissais mes anciens camarades rescapés du début de la campagne.
 
 

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Lettres de Paul Andrillon, Caporal à la 12e Cie du 119e, blessé le 25 Septembre 1915  
 
  21 septembre
 
Embarquement dans les autos pour Acq, d’où nous partons à la nuit pour les tranchées. Nous terminons les sapes pour l’attaque prochaine.
 
 22…Travaux de sape ; notre artillerie arrose constamment les tranchées boches.
 
 23…A minuit nous retournons à Acq dans un piètre état cause de boue.
 
 24…A la tombée du jour retour aux tranchées où nous arrivons couverts de boue en 1ere ligne.
 
 25…Bombardement effrayant de notre artillerie toute la matinée ; vers 11h nous occupons les sapes, le spectacle est superbe, de tout les points de la plaine nos pièces font rage, impossible de rien distinguer chez les Boches, ce n’est que fumées, tout le monde a confiance dans l’issue de l’attaque.
 
Vers 12h 1/4 on m’envoie couper le réseau de fils de fer à 5m de la tranchée, personne ne me tire dessus. Du côté de Neuville les pompiers arrosent les Boches avec du liquide enflammé ; 12h 1/2 : en avant. A peine sorti, les mitrailleurs Boches de 1ere ligne nous arrosent d’une pluie de balles. Je parcours 10 mètres debout et m’effondre comme un paquet de linge sale knock out.
 
Comme je ne suis que légèrement touché au bras et à la jambe, je ne perds pas de temps et me traîne jusqu’au bord de la tranchée où mon lieutenant me réceptionne et me dépose délicatement au fond. Sans trop de difficulté j’arrive au poste de secours où on m’expédie à l’arrière ; ma jambe s’engourdit et j’arrive très fatigué aux voitures d’ambulance (ferme de Berthonval) d’où on m’emmène à Hte Avesnes.
 
Lettre du 26/9/1915 à sa famille :
 
Donc hier après un bombardement d’une violence telle que je n’ai jamais rien de vu pareil, 5 minutes avant l’attaque, je suis allé couper notre réseau de fils de fer, personne ne me tirant dessus y a eu tout a fait bon.
Quand on est parti à l’assaut, j’étais en tête de la section avec l’ami Campserveux. Ces salauds de Boches avaient plusieurs mitrailleuses en face de nous, qu’est ce qu’ils nous ont mis ! Après avoir fait 4 ou 5 mètres à 4 pattes, Campserveux et moi énervés par cette fusillade nous sommes levés, et en avant quand même. Je n’ai pas fait plus de 10 mètres, et patatras les 4 fers en l’air.
 
Lettre reçue le 13/10/1915 écrit par Lardier du 119e
 
Quant à moi cela va à merveille, j’ai bien tiré ma peau ainsi qu’Henri, nous sommes les seuls survivants à l’escouade plus Mattel et Letellier mais tu le sais ils étaient restés à Acq. Legras est tué ainsi que ce pauvre Pagès, Lechat, Proz et bien d’autres qu’il serait trop long a énumérés. Campserveux a la médaille militaire et promu sous lieutenant, pour ma part je viens d’être présenté au commandant pour passer cabot.
 
Quand nous avons été relevés l’effectif était 47 poilus. Je pense que tu dois le savoir nous sommes montés 2 jours après à environ 30 mètres du bois de la folie qu’est ce qu’ils ont pris les boches.
Retour à plat ventre, poste de secours, transport en auto dans une ambulance de l’avant, et aujourd’hui évacuation.

 

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 Autre lettre
 
Mon cher ami, je n’ai reçu que ce matin votre lettre du 28 septembre. Elle est revenue du front, puis du dépôt me retrouver à Caen où je suis depuis le 3 octobre. J’ai échappé aux balles et aux obus à la première attaque mais le lendemain j’ai été à moitié asphyxié par le gaz et ai bien failli passer l’arme à gauche tout de même. A l’ambulance on a dû me faire dans l’espace de 12 heures 3 piqûres de caféine, autant d’Ether et autant d’huile camphrée et le major est revenu voir dans la nuit si je n’avais pas dévissé mon billot. Enfin après 5 jours passés à l’ambulance d’Hermonville on m’a jugé transportable et depuis je suis ici où ma mère est venue à mon chevet. Ca va mieux, je commence à me lever mais j’ai encore les poumons très pris et il parait que j’en ai pour plusieurs mois à me remettre, tant mieux, ce n’est pas un mal par le temps qui court. Car, mon pauvre ami, j’ai gardé un bien triste souvenir de notre attaque du 25 et pourtant vous savez si on y allait de bon cœur. Vous avez peut-être eu des détails à ce sujet. En tous cas voici ce qui s’est passé. A peine sorti je vous ai vu atteint au poignet gauche que vous vous teniez, puis j’ai vu Pontif qui devant moi venait de recevoir une balle dans le rein mais qui a pu regagner la sape. Je file doux avec Campserveux et le capitaine m’attendant à chaque instant à être descendu, on s’arrête un moment pour envoyer quelques coups de fusil sur les créneaux boches puis on repart en avant. Mais nous étions à ce moment là presque seuls. La compagnie fauchée par les mitrailleuses était couchée dans la plaine et les survivants n’avançaient plus. Nous avons alors gagné un trou d’obus où de Buquière, Agnès, Linant, et deux hommes sont venus nous rejoindre. De là nous étions à 25 mètres des postes et nous nous mîmes à les canarder. J’ai dû en descendre un à travers un créneau mais au bout de quelques minutes un des hommes qui tirait à coté de moi reçoit de derrière une balle qui lui décalotte le crâne. C’était des types de chez nous qui affolés nous prenaient pour des Boches et allaient nous esquinter. Le piston nous fit nous planquer et à ce moment arriva l’ordre de nous replier en raison des pertes trop lourdes du régiment. C’est en se repliant que ce pauvre Pagès a été tué. Il reçut d’abord une balle dans les fesses, puis deux balles dans le côté. La deuxième était mortelle. Quant à nous, il était près de 7 heures du soir quand nous quittâmes notre trou où nous avions essuyé tout l’après midi le bombardement et la fusillade de ces salauds là, je quittai le trou le dernier. Quel spectacle mon pauvre vieux. Notre ligne de tirailleurs était jalonnée par les morts et quand on fit l’appel le lendemain matin nous restions à  47 et 3 officiers. Proz (s/Lieutenant) avait été tué net, Lechat aussi. A la section Pagès, Pluet, Delalande, le petit Dudul, et plusieurs autres étaient tués. Depuis je ne sais ce qui s’est passé. J’ai reçu ce matin un mot très court de Campserveux qui est bien aise d’être sorti de la fournaise et qui a reçu la médaille militaire dans les tranchées. Il va m’écrire plus longuement me dit-il, mais peut-être avez-vous eu aussi des nouvelles de votre côté. J’espère que vos blessures et surtout vos pansements ne vous font pas trop souffrir et suis heureux de vous savoir royalement installé vous le méritez bien.
 
Moi je suis très bien soigné ici et je commence à avoir la respiration un peu plus facile. Mais j’ai eu et on me fait encore tellement de piqûres sur les cuisses que j’ai mes pauvres jambes bien douloureuses. Enfin cela vaut encore mieux que d’être là-bas n’est-ce pas ? Allons mon cher Andrillon, nous nous reverrons au dépôt dans quelques mois à moins que ce ne soit fini ou que je ne passe dans les interprètes, ce que j’essaierai probablement car vous savez l’infanterie j’en ai vu assez.
 

Source :  Xavier_76, http://pagesperso-orange.fr/119RI

Lettre de la veuve d'Albert (Jules) Léger

 

 

Bolbec le 23 Novembre 1915

 

Monsieur le Ministre de

         la Guerre

 

Etant sans nouvelles de

mon mari le soldat Jules Léger

du 119è d'infanterie N° 2963

7ème  compagnie depuis le 23

septembre dernier

      Ayant écrit à Monsieur le

Capitaine du dépot de Lisieux

d'où il m'a été répondu

qu'il était porté disparu

qu'il pouvait être prisonnier

et me conseillant d'écrire avenue

des Champs Elysées agence des

prisonniers de guerre

Je n'ai jusqu'à present obtenu

aucun autre renseignement j'espère

Monsieur le Ministre que vous

prendrez ma situation en considération

continuant un commerce bien

difficilement avec l'espoir de revoir

mon mari père de quatre petits

enfants et que vous voudrez bien

si cela vous est possible me

dire ce qu'il est devenu.

      Recevez Monsieur le Ministre

l'assurance de mon profond respect

         J. Léger

4 rue Pierre Fauquet

        Bolbec

Sne Inf

 

A5 leger 1

allée A - tombe n°5

 

A LA MÉMOIRE DE

JULES ALBERT

LÉGER

SOLDAT AU 119E D'INFANTERIE

MORT POUR LA FRANCE

A NEUVILLE-ST-VAAST

EN SEPTEMBRE 1915

DANS SA 31E ANNÉE

REGRETTÉ DE SA FAMILLE

ET DE SES AMIS

Sigle 1

DE PROFUNDIS

P1080257
P1080256

Actuellement aux archives communales de Bolbec, ce diplôme n'a pas été réclamé.

Peut-être intéressera t'il un descendant de la famille ?

Sources :

Mémoire des Hommes

Archives départementales de Seine-Maritime (Etat-Civil, registres matricule, Journal de Rouen)

 Archives départementales de Seine-Maritime (sous-série 10 RP 112 à 141)

Archives communales de la ville de Bolbec (archives militaires série 4H)

Vincent Le Calvez, http://vlecalvez.free.fr

Xavier_76, http://pagesperso-orange.fr/119RI