La procédure d'abandon
Reprise des concessions funéraires en état d'abandon
Principe - Le régime juridique applicable à la procédure de reprise des concessions funéraires est défini par l'article L. 2223-17 du Code général des collectivités territoriales : "Lorsque après une période de trente ans une concession a cessé d'être entretenue, le maire peut constater cet état d'abandon par procès-verbal porté à la connaissance du public et des familles. Si trois ans après cette publicité régulièrement effectuée, la concession est toujours en état d'abandon, le maire a la faculté de saisir le conseil municipal qui sera appelé à décider si la reprise de la concession, même perpétuelle, doit ou non être prononcée ; dans l'affirmative le maire peut prendre un arrêté prononçant la reprise par la commune des terrains affectés à cette concession". Ce droit peut être analysé comme résultant du non-respect par le concessionnaire de son obligation morale de maintenir la concession en bon état d'entretien, afin qu'elle ne vienne pas, par un aspect délabré et lamentable caractéristique d'un état d'abandon, troubler la décence due à ce lieu affecté au culte des morts. Mais la reprise est une opération grave et irréversible qui nécessite des règles strictes. Aussi le juge administratif contrôle-il avec minutie le respect de la procédure fixée (CE, 24 nov. 1971, n° 79385). À cet égard, il convient de rappeler que l'obligation d'entretien s'applique à toutes les concessions, même si elles ne sont pas bâties et utilisées (Rép. min n° 9806 : JOAN 3 juin 2008, p. 4691).
Attention : Notion d'abandon. Éléments matériels. - En l'état actuel du droit, la notion d'abandon d'une concession funéraire, situation en fonction de laquelle le terrain affecté peut être repris par la commune, résulte du défaut d'entretien et ne semble pas devoir impliquer nécessairement l'état de ruine de la sépulture. Cet état se caractérise néanmoins par des signes extérieurs nuisibles au bon ordre et à la décence du cimetière. C'est dans ce cadre qu'il convient de rechercher si l'état d'abandon d'une concession justifie sa reprise. Il ressort de la jurisprudence qu'une concession qui offre une vue déplorable, "délabrée et envahie par les ronces ou autres plantes parasites" (CE, 24 nov. 1971, n° 79385, cne Bourg-sur-Gironde), ou "recouvertes d'herbe ou sur lesquelles poussent des arbustes sauvages" (CAA Nancy, 3 nov. 1994, n° 93NC00482 : JurisData n° 1994-051596), est la preuve de son abandon.Les procès-verbaux rédigés au cours de la procédure doivent donc rapporter et décrire, avec le plus de précisions possibles, pour chaque sépulture considérée, les éléments matériels de nature à caractériser l'état d'abandon qui relève d'une appréciation au cas par cas (Rép. min. question n° 12072 : JO Sénat 11 nov. 2010, p. 2966).
Procédure de reprise d'une concession - La procédure de reprise des concessions est particulièrement formaliste, son strict respect conditionne sa réussite (CGCT, art. R. 2223-12 à R. 2223-23). Elle peut paraître longue, mais l'enjeu est important, car elle peut porter atteinte au libre exercice par la famille du culte des morts. L'article L. 2223-18 du Code général des collectivités territoriales stipule :
Un décret en Conseil d'État fixe :
- les conditions dans lesquelles sont dressés les procès-verbaux ;
- les modalités de la publicité qui doit être faite pour porter les procès-verbaux à la connaissance des familles et du public ;
- les mesures à prendre par les communes pour conserver les noms des personnes inhumées dans la concession et la réinhumation ou la crémation des ossements qui peuvent s'y trouver encore.
Modalités de mise en oeuvre - Il résulte de ces dispositions que, pour qu'une concession funéraire puisse être reprise par la commune, il faut que soient réunies les huit conditions suivantes :
- que cette concession ait plus de trente ans d'existence, délai porté à cinquante ans quand l'acte de décès de la personne inhumée porte la mention "mort pour la France". Cette disposition ne s'applique pas aux concessions centenaires qui peuvent être reprises à leur terme normal. De plus, aucune inhumation ne doit y avoir été effectuée depuis moins de dix ans ;
- que le procès-verbal de constat d'abandon soit dressé par le maire ou son délégué, à l'exclusion de toute autre personne. La famille, si elle est connue, doit être invitée à y assister, par lettre recommandée un mois au moins à l'avance ; dans le cas contraire, un avis doit être affiché dans les conditions habituelles à la mairie, mais aussi à la porte du cimetière. Le procès-verbal doit être signé par le maire, ainsi que par les personnes qui ont assisté au constat des lieux (CGCT, art. R. 2223-14) ;
Conseil pratique
Selon l'article R. 2223-13 du Code général des collectivités territoriales, modifié par l'article 42 du décret n° 2011-121 (cité supra n° 1), le constat de l'état d'abandon d'une concession est dressé par le maire ou un adjoint auquel il a délégué son pouvoir de police, après transport sur les lieux "en présence d'un fonctionnaire de police délégué par le commandant de la circonscription de sécurité publique, ou, à défaut, d'un policier municipal ou d'un garde champêtre". La présence d'un commissaire de police n'est plus prévue. Cette nouvelle réglementation, mieux adaptée à la réalité, ne résout pas les difficultés des communes qui, en zone rurale, ne disposent ni de gardes champêtres, ni de police municipale. Interrogé sur ce point par un parlementaire, le ministre chargé de l'intérieur, après avoir rappelé la possibilité pour les communes d'envisager un recrutement de gardes champêtres ou d'agents de police municipale, dans un cadre intercommunal, évoque la solution consistant à faire appel à un garde champêtre agréé et assermenté d'une commune voisine, dans le cadre d'une convention. En dernier ressort, le maire peut, sous sa surveillance et sa responsabilité, déléguer par arrêté une partie de ses fonctions à un ou plusieurs de ses adjoints et, en l'absence ou en cas d'empêchement des adjoints ou dès lors que ceux-ci sont tous titulaires d'une délégation, à des membres du conseil municipal uniquement (Rép. min n° 3998 : JOAN 16 déc. 2002, p. 4993). À noter que le maire peut procéder seul au constat.
- que le procès-verbal décrive avec précision l'état dans lequel se trouve la concession (délabrement général, envahissement par des ronces ou autres plantes parasites, pierre tombale en mauvais état, etc.). Le défaut d'inhumation n'équivaut pas à son abandon, puisqu'il suffit de continuer à entretenir extérieurement la concession pour rendre impossible la procédure de reprise (V. Rép. min. n° 42741 : JOAN Q 14 janv. 1978, p. 135) ; - que ce procès-verbal ait été notifié, dans les huit jours, par lettre recommandée avec accusé de réception à la famille s'il en existe encore des représentants, ainsi qu'aux personnes chargées de l'entretien de la concession, et qu'il les mette en demeure de rétablir la concession en bon état d'entretien ; que dans le même délai de huit jours, des extraits du procès-verbal aient été portés à la connaissance du public par voie d'affiches apposées durant un mois à la porte de la mairie, ainsi qu'à la porte du cimetière. Un certificat signé par le maire constate l'accomplissement de ces affichages. Il est annexé à l'original du procès-verbal ;
- que l'état d'abandon de la concession n'ait pas été interrompu dans les trois ans qui ont suivi l'affichage des extraits du procès-verbal ; dans le cas contraire cet acte est le point de départ d'un nouveau délai de trois ans ;
- que trois ans après l'affichage du procès-verbal constatant l'état d'abandon de la concession, un nouveau procès-verbal établi, en respectant les mêmes formalités que le premier, et notifié aux intéressés avec indication des mesures à prendre, ait permis de constater que, malgré la mise en demeure, la concession est toujours en état d'abandon ;
- que le conseil municipal, saisi par le maire dans les délais fixés, de la question de savoir s'il convient de reprendre la concession, ait décidé cette reprise (CGCT, art. R. 2223-18) ;
- enfin, s'il s'agit d'une concession centenaire ou perpétuelle, que son entretien n'incombe pas à la commune ou à un établissement public, en exécution, d'une donation ou d'une disposition testamentaire, régulièrement acceptée (CGCT, art. R. 2223-23).
Attention : Cette dernière clause doit inciter les communes à n'accepter les legs de cette nature qu'après qu'elles se sont assurées que leur montant permettrait de remplir tous les engagements en résultant.Par dérogation, une procédure spéciale est prévue pour les départements d'Alsace-Moselle, en ce qui concerne les concessions accordées avant le 11 novembre 1918, à des personnes de nationalité allemande à la date du 22 janvier 1919, et ayant quitté la France, aux termes de laquelle, une fois le procès-verbal constatant l'état d'abandon porté à la connaissance du public : "lorsque dans les six mois qui suivent cette publicité, il ne se présente aucun ayant droit du concessionnaire, le maire a la faculté de prononcer, par arrêté et sur avis conforme du conseil municipal, la reprise des terrains affectés a ces concessions" (CGCT, art. L. 2542-27). En bref, le délai de droit commun de trois ans est ramené à six mois.
Conseil pratique
Une difficulté particulière peut se présenter pour la commune qui veut récupérer une concession à l'abandon alors que, occupée ou non, son identification est impossible, soit qu'il n'y ait aucun nom sur la pierre tombale, soit qu'il n'y ait qu'un numéro sur le plan du cimetière. Dans les deux cas, il y a bien eu achat à l'origine, mais le maire ne peut retrouver trace du nom des acquéreurs dans les documents en sa possession. Le conseil qui pourrait lui être donné dans un tel cas serait de faire rechercher les renseignements auprès de la recette municipale qui a du procéder à l'enregistrement de la vente.
Décision du maire - Au terme de la procédure décrite supra (n° 93) et après délibération favorable du conseil municipal, "le maire peut prendre un arrêté prononçant la reprise par la commune des terrains affectés à cette concession" (CGCT, art. L. 2223-17) ; il s'agit d'une faculté donnée au maire, et non d'une obligation. Cet arrêté doit préciser que les monuments et emblèmes funéraires restés sur les concessions seront retirés dans un délai d'un mois.
L'arrêté est exécutoire de plein droit dès qu'il a été procédé à sa publication et à sa notification (CGCT, art. R. 2223-19). Sa publication est effectuée dans les conditions habituelles : toute personne a le droit de se le faire communiquer ainsi que les procès-verbaux, conformément à l'article L. 2121-26 du Code général des collectivités territoriales.
Conseil pratique
La commune, en raison de l'intérêt architectural ou de l'intérêt historique local qui se rattache à certains monuments funéraires, peut décider de les entretenir à ses frais. Ces monuments peuvent également faire l'objet d'une protection particulière, sur le fondement des articles L. 621-1 et suivants du Code du patrimoine (classement au titre des monuments historiques, inscription à l'inventaire supplémentaire). Dans cette hypothèse, c'est la procédure de droit commun qui s'applique : une association de protection du patrimoine pouvant alors, en accord avec la commune, prendre en charge l'entretien et la préservation de la sépulture (Rép. min. n° 11105, citée supra n° 65).
Conséquences de la décision de reprise d'une concession funéraire - Trente jours après la publication et la notification de sa décision sous forme d'un arrêté, le maire :
- "peut faire enlever les matériaux des monuments et emblèmes funéraires restés sur la concession" (CGCT, art. R. 2223-20, al. 1).Désormais, la commune n'est plus tenue d'affecter le produit de leur vente à l'aménagement du cimetière communal (V. supra n° 52) ;
- fait procéder à l'exhumation des restes des personnes inhumées. Pour chaque concession, lorsque le cercueil est trouvé détérioré, les restes sont réunis dans un cercueil de dimensions appropriées ou une boîte à ossements (CGCT, art. R. 2223-20, al. 2). Leur réinhumation dans l'ossuaire doit intervenir immédiatement. En l'absence d'opposition connue ou attestée du défunt, attestée ou présumée du défunt, le maire peut également faire procéder à leur crémation ; les cendres sont alors dispersées dans le jardin du souvenir du cimetière. Les noms des personnes exhumées, même si aucun reste n'a été retrouvé, sont consignés dans le registre ad hoc du cimetière ou gravés sur un dispositif en matériaux durables dans le jardin du souvenir ou au-dessus de l'ossuaire (CGCT, art. R. 2223-6). Les restes des personnes qui avaient manifesté leur opposition à la crémation sont distingués au sein de l'ossuaire (CGCT, art. L. 2223-4 créé par L. n° 2008-1350, citée supra n° 1).
À l'issue de ces opérations, le maire peut alors réaffecter le terrain.
Attention : À cet égard et en réponse à plusieurs questions écrites de parlementaires, le ministre chargé de l'intérieur a cru bon de rappeler que, "[...] Dans l'hypothèse où la commune envisage de réattribuer à un tiers une concession funéraire qui a fait l'objet d'une procédure de reprise, elle doit au préalable faire procéder à l'exhumation des restes mortuaires qui s'y trouvent. Cette opération, qui relève de l'entretien général du cimetière communal, constitue une des dépenses obligatoires qui incombent aux communes en application des dispositions du quatorzième alinéa de l'article L. 2321-2 du Code général des collectivités territoriales. Par conséquent, seules les concessions funéraires reprises pour lesquelles l'exhumation des restes mortuaires a été pratiquée peuvent faire l'objet d'une réattribution par la commune" (Rép. min. n° 54352 : JO Q 13 août 2001, p. 4711).
Règlement des litiges relatifs aux concessions
Juridictions compétentes - Le règlement des litiges relatifs aux concessions est partagé entre les deux ordres de juridictions (T. confl., 6 juill. 1981, n° 02193).
Relèvent des tribunaux de l'ordre administratif :
- les litiges concernant la validité et l'étendue des contrats de concessions s'élevant entre la commune et le concessionnaire, par application de l'article 1er du décret du 17 juin 1938 car ils comportent occupation du domaine public communal ;
- les litiges nés de l'exercice du pouvoir de police des cimetières : suite au refus du maire d'autoriser l'inhumation d'un défunt dans une concession à la demande d'un ou plusieurs héritiers ou encore en cas d'exécution d'office par décision du maire fondée sur l'imminence du péril. Le juge appréciera la légitimité des motifs tirés de l'intérêt général, invoqués par le maire.
Relèvent des tribunaux de l'ordre judiciaire (T. confl., 6 juill. 1981, Jacquot c/ cne Maixe : JurisDatan° 1981-040769 ; Rec. CE 1981, p. 506) :
- les atteintes portées par l'administration communale aux droits des concessionnaires, lorsque elles présentent le caractère d'une emprise irrégulière ou d'une voie de fait ;
- les litiges nés des questions de droit civil relatives aux concessions funéraires : droits des familles à utiliser un caveau (Cass. 1re civ., 23 mars 1977 : Bull. civ. n° 235) ; transmission héréditaire des droits sur une concession (Cass., 25 mars 1958, Py c/ Roger. - CA Amiens, 20 nov. 1960) ; droit du concessionnaire sur le monument funéraire élevé sur la concession (T. civ. Seine, 21 juin 1938 : DH 1938, p. 589).
Source : lexisnexis